Pour que ce jour compte.
« Maman, pourquoi j'ai pas de papa ? » Petite, la question revenait souvent dans mes conversations avec ma mère. Je ne comprenais pas : je voyais les autres enfants autour de moi, qui grandissaient dans une famille aux airs heureux, unis. Je n'avais jamais connu ça. Je ne connaissais pas mon père. C'était ma mère qui m'avait élevée, à l'aide de ses parents. J'avais envie de comprendre pourquoi, mais maman ne me répondait qu'à l'aide d'un sourire dont elle seule avait le secret. Vous savez, ces sourires dans lequel on peut lire une énorme tristesse.
Elle m'expliqua la raison de l'absence de mon paternel plus tard, lorsque j'eus l'âge de comprendre. Elle était tombée enceinte trop jeune. Elle avait dix-sept ans. Et chez les Montgomery - noble famille anglaise - c'était quelque chose d'inacceptable. Surtout lorsqu'il était trop tard pour avorter. Afin que cela ne se sache pas - vous imaginez ? Une fille de bonne famille, censée être vierge jusqu'au mariage, enceinte aussi jeune... C'était tout bonnement honteux - ils avaient interdit à ma mère de quitter la maison durant sa grossesse. Et lorsque je suis née, ils la prièrent de ne plus revoir mon père - qui en plus n'était pas du même niveau social qu'eux. C'était à cause de mes grands-parents, que je n'avais jamais connu mon père. À cause de leurs préjugés, ma génitrice avait rapidement renoncé à lui. La dernière fois qu'elle le vit, c'était avant ma naissance. Et plus je grandissais, plus je me rendais compte qu'il manquait un homme dans notre vie. Que ce soit un père, ou un conjoint.
Un soupir s'échappa de mes lèvres alors que mes yeux verts parcourraient les lignes de
Pride and Prejudice pour la énième fois. D'une oreille distraite, j'entendis les talons de ma mère claquer sur le sol et lorsqu'elle apparu dans mon champ de vision je levai les yeux vers elle. Un sifflement s'échappa de ma bouche lorsque je vis la façon dont elle était habillée - chic, mais très sexy.
« Tu t'es faite belle à ce que je vois. » Elle me fit une grimace. Ma mère et moi étions très complices. Nous étions presque plus des amies que des parentes ; je savais que je pouvais lui raconter n'importe quoi, j'avais une confiance aveugle en elle. Je lui racontais mes conneries, elle m'écoutait, elle me conseillait. Et réciproquement, lorsqu'elle avait un coup de blues, elle venait m'en parler.
« Ca me change, hein ? » Elle se rapprocha du miroir et se passa les mains dans les cheveux, dans le but de se recoiffer - elle qui ne jurait que par son chignon habituellement, elle avait aujourd'hui décidé de les laisser tomber en cascade dans son dos. Je croisais le regard de son reflet et elle m'adressa un sourire. Non plus triste comme auparavant. Épanoui, heureux. Elle allait me présenter quelqu'un ce soir. Un homme qui lui plaisait beaucoup. Avec lequel elle sortait depuis quelques temps. Elle m'en parlait depuis des semaines et des semaines... Et enfin, j'allais faire sa connaissance. J'appréhendais, en réalité. Je crois que je l'idéalisais à l'époque et ce jour-là, je me posais des questions à son sujet. Et s'il n'était pas celui que je m'étais imaginé ? Et s'il n'était pas le bon pour ma mère. Je préférais ne pas y penser.
Ma génitrice se retourna vers moi :
« Alors, tu es prête ? » Je mis mon marque page dans le livre, je le fermai et le posai sur la table du salon avant de me lever. Je m'étais habillée simplement. Une jupe noire, un chemisier blanc, des chaussures qui avaient des petits talons... Rien de bien spécial. Je m'étais faite belle pour l'occasion oui, mais sans plus. Je respirais profondément avant de lui adresser un sourire.
« Allons-y, on ne va pas les faire attendre. » À ce moment-là, je crois que j'étais encore plus stressée que ma mère.
Je me souviens qu'ils étaient déjà là lorsque nous étions arrivés. Ils étaient deux, comme prévu. Monsieur Montgomery et son fils, Sohan. Ils s'étaient levés en nous apercevant, ils nous saluèrent. Avant de nous aider à nous installer puis de retourner s'asseoir. Ma première impression sur le copain de ma mère ? Impossible de le détester. J'avais l'impression qu'il avait toutes les qualités du monde. Pas le moindre défaut. À vrai dire, mes craintes s'étaient envolées à l'instant même où je le rencontrais. Je savais qu'il n'était pas comme tous les scénarios que je m'étais imaginé. Loin de là. Son fils également, le courant passa immédiatement entre nous. D'ailleurs entre nous, Sohan est plutôt beau garçon. Et dès notre rencontre, je me suis surprise à penser à quel point il était dommage qu'il devienne mon demi-frère. Du gâchis, si vous voulez mon avis.
Installée à table, j'observais les gens à quelques mètres de moi, qui tournaient en rond, se mouvaient lentement au rythme de la musique. Un sourire sur les lèvres, mes yeux suivaient la silhouette de ma mère et de sa robe blanche, dans les bras de Gregory - monsieur Montgomery. Cela faisait bientôt un an que j'avais fais sa connaissance et ils s'étaient déjà dit oui. Un peu tôt selon moi, mais maman m'avait assuré que c'était le bon. Alors je ne pouvais rien faire d'autre que de la croire. Et puis, elle semblait si heureuse ainsi... Je n'avais pas le droit de mettre un terme à son bonheur. Pas après tous les sacrifices qu'elle avait enduré pour moi. Du coin de l'oeil j'observais également Sohan danser avec une de ses amies. Lui et moi, nous étions devenus plutôt proches. Nous nous entendions bien, il nous arrivait souvent de sortir ensemble avec des amis pour faire la fête jusqu'au milieu de la nuit. Gregory et Sohan avaient également déménagés. Ils étaient venus habiter dans notre duplex de Picadilly Circus quelques mois auparavant, forcément ça rapprochait. Et puis comme cela, j'avais quelqu'un qui pouvait me ramener chez moi.
« Tu danses pas ? » Sohan s'était approché et avais pris une chaise pour s'installer à côté de moi. Je ne le regardais pas, mes yeux étaient toujours fixés sur le sourire étincellant de ma mère. Moi, jamais je n'avais souris comme cela. J'avais l'impression de me forcer, de ne pas réellement être heureuse. Je me décidais enfin à me tourner vers lui.
« Tu trouves que j'ai une tête à danser ? » Il éclata de rire :
« Effectivement. » J'avais toujours été comme ça. Pas vraiment féminine. Plus un garçon manqué. La danse, ce n'était pas mon truc. Je préférais le sport. Le maquillage je n'aimais pas ça, je préférais rester naturelle. Les jupes, je n'en mettais que lors des grandes occasions. Non, je n'étais vraiment pas féminine.
« Appelles-moi lorsque Charlie-Jooey aura quitter ce corps pour laisser place à Ashelia. » Il adorait m'embêter sur mon prénom, « trop masculin » selon lui. Il était persuadé que c'était à cause de mon prénom que j'étais si peu féminine.
« La ferme, Sohan. » Habituellement, je me fichais bien de ce qu'on pouvait raconter sur le fait que je sois un garçon manqué. Pourtant, venant de Sohan, ça faisait mal. Je ne le supportais pas. En fait, Sohan et moi c'était étrange. Il était beau garçon, drôle, gentil. Un peu chiant je l'avoue, mais je l'adorais. Un peu trop d'ailleurs et c'était ça le problème. J'étais tombée amoureuse de lui. Alors que je n'en avais pas le droit. Nous faisions à présent partie de la même famille, je ne pouvais pas l'aimer. Pourtant quelque part dans ma poitrine, ce sentiment était bel et bien là...
« T'es sérieux, là ? » « On a l'appart pour nous toute la semaine alors autant en profiter ! » J'observais l'alcool qui trônait sur la table d'un oeil méfiant. Pensait-il vraiment que je serais capable d'ingurgiter tout ça ? Je me le demandais sérieusement car la réponse serait évidente : il y en avait trop pour nous deux et finir complètement saoule tous les soirs alors que ma mère était en lune de miel n'était pas sur ma liste de choses à faire. Je m'installais néanmoins sur le canapé pour regarder le film que Sohan avait mis en route - un truc fantastique. Il s'installa à côté de moi et durant plusieurs minutes, le silence s'installa entre nous.
« Quoi ? » Comme je me sentais observée, j'avais tourné la tête et remarqué que Sohan m'observait d'un air... étrange. Il avait l'air de me détailler.
« Ashelia je... Enfin, t'es une fille quand même. » « Merci de le remarquer. » Je levais les yeux au ciel. Qu'est-ce qu'il avait ce soir ? Il était bizarre. Et puis me sortir ce genre de phrase comme ça... Génial, il plombait l'ambiance. Je pinçais les lèvres : monsieur s'était peut-être remis à regarder le film, mais moi je bouillonnais. J'en avais assez. De ses remarques sur le fait que je sois un garçon manqué, de la façon dont nous étions ensemble depuis notre rencontre - très complices, trop attentionnés - et surtout, j'en avais mal de mon coeur qui n'en faisait décidément qu'à sa tête.
Bordel, Ash. Sohan est ton demi-frère. Ca m'énervait. Cette remarque était la goutte d'eau qui faisait déborder le vase. Sans rajouter un mot, je lui assénais une gifle, puis je me levais et m'éloignais du canapé.
« A... Attend, Ash' ! » Je ne l'écoutais pas, je continuais à m'éloigner. Je n'avais pas envie de parler. Je ne voulais pas lui expliquer la raison de cette gifle. J'avais honte de moi, j'étais tombée bien bas. Personne ne devait savoir que je craquais sur lui, personne. Perdue dans mes pensées, il m'avait rattrapée et me tenait fermement le poignet. Lorsque je me retournais, je lui jetais un regard noir.
« Lâches-moi. » « Pourquoi tu réagis comme ça ? Qu'est-ce que je t'ai fait ? » Je ne pouvais pas lui dire, je n'en avais pas le droit. Il ne pouvait pas arrêter de me regarder avec ces yeux-là ? J'en avais assez. Assez. Et avant que je m'en rende compte, mes yeux s'étaient remplis de larme. Je me les essuyais rapidement de ma main libre.
« Ne t'inquiète pas. C'est à cause de mes... » Mais je n'eus pas le temps de finir, Sohan m'en empêcha. Il avait posé ses lèvres sur les miennes. J'entrouvris ma bouche, et nos langues se rencontrèrent. Je sentis la chaleur envahir mon corps lorsqu'il attira mon corps vers le sien et qu'il passa ses mains sous mon t-shirt. Je me laissais aller et puis...
« Arrête, arrête, arrête... STOP ! Tu... On peut pas faire ça, So'. » Il recula haussa les épaules.
« Ce n'est pas comme si nous étions liés par le sang. » « Que crois-tu que diraient nos parents ? » Il ne répondit pas tout de suite. Il me regarda droit dans les yeux.
« Je sais bien. Ce n'est pas possible. Accordes-moi juste une nuit, Ash. Juste une. » Je m'approchais alors lentement de lui et doucement, je posais mes lèvres sur les siennes.
« Une seule. » Je me souviens encore qu'à ce moment-là, je le remerciai intérieurement d'avoir acheté autant d'alcool. Une possibilité de boire pour oublier le lendemain. Et le surlendemain. Et celui d'après... Car Sohan et moi, nous n'en étions pas resté à une seule nuit. Nous n'en avions pas été capables.
« Qu'est-ce que c'est que ça ? » « Un billet pour le World Express ! » Oui, merci. Nous avions remarqué. Nos parents avaient décidé de nous offrir un voyage. À Sohan et à moi. Sans raison particulière, je n'ai pas vraiment compris le pourquoi du comment. Toujours est-il que nous avons embarqué, tous les deux.
Vous voulez plus de détails ? D'accord. Cela faisait trois ans que durait ce petit jeu entre nous. Mais nous n'étions pas vraiment en couple. Notre dernière trouvaille ? Le jeu de « celui qui blessera le plus l'autre ». Les règles ? Il n'y en a pas, tous les coups sont permis. Tant que cela atteint l'autre.
« Tu as couché avec elle ? » « Eleonor ? Non, elle -je cite- "aurait bien aimé mais son mari l'attendait dans sa cabine". » Je retins un soupir de soulagement. Il ne manquerait plus qu'il se fasse une vielle dans son genre. Le comble. Il s'approcha de moi et me pris dans les bras, commençant à m'embrasser le coup. C'était toujours comme cela. Nous étions masos, nous essayions de nous blesser l'un et l'autre. Mais nous étions incapables de nous séparer, même lorsqu'on n'y mettait du notre. Cette relation me détruisait, mais je ne pouvais pas y mettre un terme. Je n'y arrivais pas. Je n'avais plus qu'à essayer de profiter du voyage en espérant que cela me ramène à la raison.